Je veux tout écrire. Des films, des séries et même des tragédies en cinq actes, pourquoi pas ?! Pourtant, s’il y a un objectif que j’aimerais atteindre, c’est celui d’écrire un roman.
Si vous ne le saviez pas, je suis acteur. Pas acteur à succès, acteur.
Rien d’incroyable, à Paris tu secoues un arbre et il y en a dix qui tombent. Comédien, si vous préférez, mais c’est moins scientifique et ça sonne plus tabac à rouler. Cette fonction m’a mis dans les mains des scénarios produits qui semblaient écrits par des cancres, et m’a parfois amené à travailler sur des pièces où nous autres acteurs·rices devions pallier l’indigence (ou la lourdeur !) de certains scripts. J’ai d’ailleurs moi-même écrit pour l’écran et la scène, aussi, je commence à comprendre comment c’est fichu.
Un film, par exemple, connaît plusieurs phases d’écriture : le scénario en est une et le tournage en est une autre, car le réalisateur écrit une adaptation grâce à la caméra et à sa direction. Enfin, le montage, troisième écriture, vient couper, renforcer et polir le tout. Au théâtre, le processus est sensiblement le même, à cela près que la pièce est réécrite chaque soir sous les yeux des spectateur·rices.
Écrire un roman est plus solitaire. On se lance dans la bataille pendant des mois, et à la fin, ça plaît ou ça ne plaît pas, basta. Paradoxalement, on a moins de scrupules à abandonner un livre au bout de vingt pages qu’à quitter la salle quand un film est incroyablement chiant.
On dit que la vie est courte, et comme on ne connaît pas les plans du Très-haut, il faut se lancer.
Tu veux écrire un roman ? Écris-le.
J’ai beaucoup d’admiration pour Jack London, auteur immense et largement sous-coté. Je me suis donc lancé, inspiré par son hygiène de travail (le whisky et la cigarette en moins), dans l’idée d’écrire mes 1500 mots par jour, et ce, même quand je n’en ai pas envie. Il ne s’agit pas seulement de produire, mais de garder l’esprit alerte, engagé dans le processus.
En évoquant ce projet avec des amis, je me suis vu interrogé sur ma méthode. On m’a demandé si j’écrivais SEUL ou si j’avais recours à l’intelligence artificielle.
Mon ego a d’abord reçu cela comme un manque de respect. Toutefois, en creusant, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’une maladresse venant de personnes qui, n’écrivant pas elles-mêmes, pensaient me rendre service. ChatGPT pourrait me permettre de gagner un max de temps, alors pourquoi persister à la jouer old school ?
Je ne m’étais jamais posé la question de la productivité en ces termes. J’ai d’ailleurs la conviction que les personnes qui le font, manquent l’essentiel : écrire est un espace de vérité brute que les machines, malgré leur puissance de calcul, ne peuvent atteindre.
Le titre de ce numéro d’ARCHIVABLE et ma réflexion me sont venus d'une errance mentale survenue à la lecture d’un fait divers, il y a quelques semaines :
En Corée du Sud, un robot connecté à l’intelligence artificielle s’est jeté dans le vide. Des journalistes ont crié au suicide, et une enquête a été diligentée pour comprendre ses motivations.
Sérieusement, “suicide” ? Quitte à verser dans l’anthropomorphisme, moi je dis : humanisons-le carrément, ce robot. Nommons-le Régine, tiens. Parce que ça sonne bien Régine la robot, c’est plus touchant. Ça sonne école primaire, genre Barnabé le scarabée et Mireille l’abeille.
Certains culottés ont même avancé l’idée que Régine, ayant accès à trop de connaissances, a perdu pied et a décidé de se donner la mort par désespoir.
Soyons honnêtes, Régine n’a pas souffert d’une crise existentielle et elle ne s’est pas suicidée, même si ça ferait un épisode regardable de Black Mirror. Ce robot ne pouvait pas comprendre ce que signifie d’être consumé par l’amour ou le désespoir, ni ressentir un millième de la douleur dont sont affligées les personnes qui décident d’en finir. Régine s’est probablement pétée la gueule à cause d’un capteur défectueux.
ChatGPT est un robot qui sait écrire, soit, mais ça ne fait pas de lui un auteur à mes yeux. Lorsqu’on écrit, on s’attaque à des vérités inconfortables.
Il ne s’agit évidemment pas de vérités objectives ou factuelles, mais d’une sincérité profonde, qui reflète des émotions complexes, comme la peur, le doute ou la passion. Contrairement aux machines, qui génèrent du texte à partir de données, l’écrivain puise dans son propre vécu (ou en tout cas il devrait), qui est unique.
L’écriture est une manière parmi d'autres de traiter des fantasmes, des frustrations et des réalités parfois violentes. L’intelligence artificielle mainstream ne sait pas écrire sur ces thèmes, parce qu’elle est conditionnée et entraînée de manière biaisée. Les chatbots, comme ChatGPT, sont programmés pour le politiquement correct.
Écrire des personnages qui soient justement racistes, violents ou violeurs, meurtriers ou amoureux (qui baisent, par exemple), l’IA s’y refuse pour l’heure. Elle se tortille, bug et invoque la politique d’utilisation.
Attention ! On peut écrire des choses grâce à cette technologie magnifique. Par exemple, il est relativement simple de pondre un manuel de développement personnel merdique sous forme de bullet-points et de mantras clichés. Mettez des espaces, un ou deux graphiques et vous pourrez le vendre sur Amazon en auto-édition. Certain·es ont déjà fait pas mal d’argent grâce à cela. On peut aussi s’en servir pour écrire des newsletters sur le management conscient ou des scénarios de pub sans intérêt. Ce qu’on ne peut pas faire, en revanche, c’est produire des textes (fictionnels ou non) du calibre de ceux de Primo Levi, Vladimir Nabokov ou Virginie Despentes. Bye bye la catharsis, Aristote et tout le tintouin.
Je ne nie pas l’apport de ce genre d’innovation. J’avance juste l’idée qu’à s’émerveiller de ses productions, nous prenons le chemin de la médiocrité, particulièrement en termes de création littéraire.
Pour ma part, je m’en sers comme d’une encyclopédie, mais aussi pour trier par rayon ma liste de courses, et j’adore ça !
Lorsqu’on écrit, on peut se délester des conventions sociales, et la fiction est un terrain de jeu magnifique pour cela, car c’est “pour de faux”.
Ça ne vaut pas une séance chez le psy, pour autant, il y a un aspect thérapeutique en cela qu’on peut pousser les curseurs jusqu’où l’on veut. On peut distribuer un amour mielleux à son amant·e imaginaire, ou expliquer durant 500 pages comment on va se débarrasser de ce collègue d’open space qui a encadré une photo de Michel Barnier sur son bureau. Libre à nous ensuite de brûler la feuille, de supprimer le document, ou d’en faire une newsletter !
“Écrire, c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit.”
Marguerite Duras - Écrire - 1993
Vous qui lisez ces lignes et qui voulez rendre publiques vos œuvres, par pitié, ne cédez pas aux raccourcis. D’accord, cela demande de la patience et de la sincérité, parce qu’écrire c’est avant tout réécrire, donner accès à son intime et accepter, peut-être, de se laisser lire. C’est une quête intérieure, et ça, une machine n’a pas idée de ce que ça signifie.
Pour beaucoup des personnes avec qui je travaille, j’écris vite et avec facilité.
Breaking news : c’est faux. Écrire est un processus qui me coûte émotionnellement et me prend un temps fou. Mon secret ? Je m’y colle sans tourner autour du pot, téléphone en mode avion. C’est comme la course à pied, au début on déteste, puis on s’y fait et ça devient presque agréable.
Quand j’écris, je passe par beaucoup de phases.
De nature pessimiste, je commence en général par haïr ma prose que je trouve anecdotique. Je ne me souviens pas m’être une seule fois trouvé brillant lors d’un premier jet. Alors j’y retourne et je plonge à l’intérieur de moi. J'essaie d’ouvrir ce quelque chose dans ma poitrine, qui vous donne accès à moi, et donc à vous-même.
Souvent, des personnes m’écrivent pour me partager leur émotion à la lecture d’ARCHIVABLE. Ça me touche, car cette même émotion, je l’ai traversée avant elles, devant mon clavier. J’ai ri, j’ai chialé, j’ai fait une pause puis réfléchi avec malice à la manière de vous tirer une larme à mon tour, pour qu’on soit quittes. Ce que vous ressentez, je l’ai ressenti. En somme, nous communiquons.
Depuis près d’un an, en lisant ces extraits de mon journal intime, vous m’avez permis de passer du camp de ceux qui ont le projet d’écrire à ceux qui écrivent et qui sont lus. C’est précieux.
D’ailleurs, après mon blabla, vous auriez encore l'idée de laisser l’IA écrire votre journal intime à votre place ? Je suis persuadé que non.
Pour finir, j’aimerais lancer un défi aux lecteur·rices de cette publication. Choisissez une scène vue, un fantasme ou une colère, et écrivez.
Faites naître la fiction. Mettez les mots dans la bouche de personnages odieux ou adorables, mais lâchez les chevaux. Laissez reposer deux jours et relisez-vous. Si ça vous plaît, réécrivez, sinon, écrivez autre chose. Ensuite, supprimez le document, faites-en une newsletter ou envoyez-moi le résultat. Je serais ravi de vous lire.
Bonne journée, moi je retourne à mes 1500 mots. Aujourd’hui je n’ai pas très envie mais voyez-vous, j’ai un roman à écrire.
À John Griffith Chaney et Martin Eden, météores siamois. Puisse votre brillante course continuer de nous éclairer et de nous inspirer jusqu’à la fin 💫
B. KOOLS
l'IA est une AUBAINE pour tout artiste : plus elle va se propager dans les couches créatrices, plus l'unicité humaine se remarquera dans la tiède médiocrité de l'océan de contenu. Allez y, usez et abusez de l'IA ça donnera encore plus de valeur à ceux et celles qui donnent leur tripes
Ravie de lire que tu te lances dans l’écriture d’un roman ! 🤗
Quel est ton sujet ?
Pour y avoir été confrontée, je comprends le processus d’écriture par lequel tu passes, même si on a tous notre propre rythme, cheminement, contraintes, tics et tocs 😜
J’adore la citation de Marguerite Duras, criante de vérité, j’y pense souvent…
À ta disposition quand tu veux faire un partage d’expériences sur le monde de l’édition quand on est un auteur inconnu ! 😏
Et Bravo pour tes textes toujours sincères, drôles et touchants. Tu y mets beaucoup de toi dedans, ta personnalité vive, débordante et malicieuse s’en dégage. Je kiffe. 😘
P.S.: pour l’IA, évidemment je ne peux que partager ton point de vue, tout l’intérêt de l’écriture c’est le voyage pas la destination, l’IA n’a rien à faire là-dedans si ce n’est dans la phase de recherche et documentation…