TBILISSI - Géorgie / 27 août 2024
Pour beaucoup, la simple évocation du voyage fait rêver. Pour moi, ce déplacement constant vers plus d’inconnu est une source d’anxiété. Je ne suis pas une exception, depuis la nuit des temps ceux et celles qui cheminent avec incertitudes loin de leur foyer, s’en remettent à des talismans et autres porte-bonheurs. Certains en appellent à la protection de Saint Christophe, d’autres arborent des trèfles à quatre feuille ou le Nazar.
NB : Différencier voyage et vacances est important car si certains disent “partir en voyage”, ils partent surtout poser leur cul dans un transat en attendant le transfert retour vers l’aéroport de Djerba.
Par voyage, j’entends le fait d’aller d’un point A vers un point B sans savoir ce qui se passera, ni comment ça se passera au milieu. Cette définition est bancale et pour briller en société, citez plutôt Nicolas Bouvier ou Julien Blanc-Gras, mais vous avez l’idée.
L’été dernier, j’ai dû abandonner mes rêves de départ suite au burn-out qui m’a mis KO. Tel un Tourangeau en week-end à Paris, le seul fait de prendre le métro faisait grimper mon anxiété en flèche. Impossible de partir à l’aventure.
Cette année, après trois semaines en solo entre l'Allemagne et la Pologne, j’ai gagné Sofia pour la suite du périple. Il nous resterait ensuite un mois pour traverser la Turquie et rallier Tbilissi, à 2500 km de là.
Nous ?
SOFIA - Bulgarie / 29 juillet 2024 - Flashback
2H30 du matin
L’aéroport était pratiquement désert cette nuit-là. Sur un mauvais siège en plastique, j'avançais laborieusement un Houellebecq, seul ouvrage en Français trouvé à Kraków. C’était plutôt bien écrit, mais ça parlait trop de cul et j’avais du mal à me concentrer.
Si tout se passait comme prévu, tu franchirais bientôt les portes coulissantes. J’avais pris soin de te souhaiter une bonne nuit et de t’envoyer deux ou trois tips sur les taxis Bulgares pour que tu penses que je ne viendrai pas. Mouv’ de connard pour ascenseur émotionnel. Classique.
J’allais enfin te retrouver, mon Nazar à moi, mon lucky charm.
J’aime voyager avec toi car il se passe toujours quelque chose d’intéressant. Il y a des gens à qui l’univers envoie des cadeaux et tu en fais partie. Ne me lance pas sur le karma, car selon mon échelle de mesure, je suis une meilleure personne que toi.
Ça doit donc être un truc de vie antérieure où j’étais un salopard contrôleur de bus et toi une sainte.
On a passé quelques jours à Sofia. J’en ai retenu que si on sort de son hypercentre, à cheval entre les enseignes étasuniennes détestables et l’architecture inspirée du réalisme soviétique, cette ville millénaire proche de la nature est sympatoche.
Allez, basta, let’s go vers l’Est.
“Le meilleur moyen de rallier Sofia à Istanbul, c’est le Sofia-Istanbul express”.
J’aimerais défier en duel au mousquet la personne qui tient le blog sur lequel j’ai lu ça. Non parce que c’est mensonger, mais pour cet enthousiasme exagéré. On est pas loin de l’Orient-Express d’Agatha Christie, sauf que le véritable crime ici, c’est l’état des toilettes.
600 km
Dans la nuit tantôt glacée, tantôt étouffante de ce train des années 50 pourvu d’une clim’ bipolaire en roue libre, nous avons fait la rencontre de personnages dont notre chemin estival allait être ponctué : les types en uniformes.
Qu’ils soient douaniers ou chauffeurs, Bulgares, Turcs ou Géorgiens, filez un zest de pouvoir et un uniforme à un type “lambda moins” et il se transformera en Power Ranger. Nous pouvons observer cette tendance en France avec les salopards contrôleurs de bus (que je fus dans ma vie antérieure je vous rappelle, donc j’ai le droit d’en parler en mal). Cela dit, lorsque l’on se rend dans les pays dont le PIB par habitant est inférieur à celui de l’Espagne, on bascule vite dans un concours de qui a le plus de pin’s à la boutonnière.
On baigne dans une ambiance Top Gun discount où les Ray-Ban aviator, les coupes au gel et les clopes à la chaîne ont la part belle.
En parlant cigarette, Istanbul, ce cendrier à ciel ouvert, est décidément l’une des villes les plus grandioses que j’ai vues. Brise salée, odeurs de poisson grillé et cris des mouettes sur le Bosphore. C’est l’un des rares endroits où la surpopulation ne déclenche mon agoraphobie qu’avec parcimonie. Du balcon de notre petit appartement, j’observais sans me lasser l'ethnie du coin qui me provoque le plus d’émois, les chats.
NB : J’ai un souci anthropomorphique avec les chats. Je les vois comme des bébés. Même les vieux chats de gouttière aux oreilles tordues qui auraient sûrement des voix de dockers et des idées politiques douteuses s’ils étaient humains, je leur parle avec la voix de l’amour.
Toi : Tu regardes encore les chats ?
Moi : Oui, il y en a un gros roux qui embête les autres. J’hésite à descendre pour le gronder. Je le déteste, il aurait certainement une moto bruyante s’il était humain.
Toi : Mmmh… Bon j’ai trouvé un plan pour demain, à Bolu.
Moi : Bolu ? C’est où ?
Toi : Ça, on s’en fout, on va camper !
Moi : On n’a pas de tente, on n’a pas de sac de couchage, on a que dalle…
Toi : Ne sois pas négatif.
Lorsque l’on a la chance d’avoir un porte-bonheur comme toi à ses côtés, on fait confiance au vent et on se laisse porter.
Alors d’Istanbul, nous nous sommes rendus en stop sur les plateaux qui dominent Bolu. On nous a parlé des ours, mais on en n’a pas croisés. On a campé et Ali nous a appris à marcher la nuit sans lampe, laissant nos yeux s’habituer à l’obscurité pour que la lune et les étoiles nous guident.
900 km
De là, on a visé Trabzon dans un voyage de douze heures qui m’a valu une dose d’anxiété colossale. Le chauffeur, portant marcel-apparent-sous-chemise, avait acté que deux pauses pipi suffisaient à la populace de son bus. Toi, tu dormais comme un chat, parce que rien ne t’angoisse.
1600 km
De Trabzon, sur un coup de tête après un bain de mer, nous avons décidé de lever les voiles pour la Géorgie. Cette frontière est étrange. À l’est se dresse le fief historique d’Erdogan, austère et gris. Des centaines d’hommes turcs y garent leur voiture pour traverser à pied vers l’ouest, où pullulent casinos et bars à entraîneuses. Au milieu de ça, nous, mal douchés, on était heureux d’avoir réussi à battre la nuit qui tombait.
2000 km
Voilà Batumi ! Toilettes japonaises à ciel ouvert : C’est propre, clinquant et ça fait de la musique mais il ne faut surtout pas y boire l’eau. Longer la côte, en stop toujours. Eurodance dans les autoradios et ta peau bronzée sur le siège passager.
2060km
De Batumi, puis Oureki, on a filé vers Zugdidi pour se préparer à la montagne. On a eu peur en voiture avec ce type qui roulait à 150km/h sur une voie limitée à 80km/h, mais on s’est aussi dit qu’on avait gagné un peu de temps. On a pris combien de véhicules ce jour-là ? J’aime quand tu parles russe aux conducteurs, je ne comprends rien, mais je suis fier, depuis la banquette arrière où mes incapacités linguistiques me relèguent systématiquement.
2210 km
Zugdidi - Mestia. Il a fallu crapahuter en mini-bus dans les montagnes sur des routes encore en construction, et déjà bousillées… parce qu’on ne roule pas sur une route en construction, bon sang ! Tu as su me calmer quand je montais dans les tours face aux nombreux types misogynes, agressifs et puant la virilité toxique qu’on a rencontrés en Svaneti.
2360 km
Mestia - Ushguli. Un trek de trois jours à pied au cœur des plus beaux panoramas qu’il m’a été donné de voir. On s’est même perdus en dehors d’un sentier lors d'une ascension, alors pendant deux heures il a fallu grimper pour atteindre le sommet, en s’accrochant aux herbes pour ne pas repartir en arrière. Je n’ai jamais eu peur, parce que tu étais là avec moi, et qu’il ne pouvait rien m’arriver. Sauf mourir quoi. On a vu les chevaux semi-sauvages des montagnes et des couchers de soleil comme des films romantique réussis : si rares.
2400 km
Ushguli - Kutaisi. Le retour des minibus, mais cette fois-ci à fond et en descente, ça gerbe de partout et ça gémit dans le fond. C’est la guerre. Tu utilises ton russe pour imposer ma carcasse à côté du chauffeur. Si je ne vois pas la route, je suis malade. Et puis, être enfermé dans ce genre de boîte de conserve fait vriller mon système nerveux. Je suis devant, tout se passe bien pour moi, quand toi depuis le fond tu demandes l’ouverture de la porte pour rendre le kéfir bu deux heures plus tôt. Carnage sacrificiel. Je tiens tes cheveux et te propose de l’eau. En te redressant, tu me demandes si moi, ça va. Les inconnus du minibus sont proches de m’insulter en te voyant retourner à l’arrière sans que je t’ai laissé ma place. I love you.
2580 km
Kutaisi-Tbilissi. Sous le soleil écrasant, pouces levés. Au moment où l’on croit que ça ne marchera plus et que le vent nous a abandonnés, une voiture s’arrête, et nous rencontrons Enrico et Maria. Meilleur trajet en stop de l’été.
Il nous apprennent qu’en Svaneti, la vendetta est encore légale et qu’on enlève les femmes pour les marier. Je suis heureux que tu m’aies dissuadé de chercher trop la merde avec les virilistes montagnards, tu m’as peut être évité de finir comme dessert pour les cochons du coin.
2750 km
Arrivés à Tbilissi, on se pose et on souffle. Je ne vais pas mentir et dire que ça a toujours été facile pour moi. À une ou deux reprises, j’ai eu envie de m'asseoir et de laisser la mort me gagner plutôt que monter dans un nouveau véhicule.
Pour un type qui n'arrivait pas à prendre le métro il y a quelques mois, j’ai fait le taff, mais sans toi, je n’aurais pas eu la force de voyager comme ça à nouveau.
Tu n’as jamais lu ni vu le Seigneur des Anneaux, mais tu as été mon Sam Gamgee. Si tu trouves ce compliment nul à la lecture de ma publication, cultive-toi mon amour.
Demain on rentre en France, il faut une fin à tout. Encore un été dont je me souviendrai pour la vie. Un été d’aventures où l’on ne s’est pas posé le cul dans un transat en attendant le transfert retour pour l’aéroport de Djerba.
À toi, Pauline, mon lucky charm, mon nazar, sans qui la vie aurait été moins douce depuis un mois, depuis un an. Depuis le jour où je t’ai rencontrée.
B.KOOLS
C’est une belle décla ça 🥲
Moooooh ma Paupau, très beau, très drôle. Comme d'hab 🧡 et putain on va l'attacher sur un siège et lui faire regarder la trilogie, version longue.